L’activité pétrolière et gazière mondiale repose moins sur les « supermajors » privées occidentales que sur les entreprises nationales des Etats producteurs, encore moins enclines que les premières à réduire leur empreinte carbone.
La COP climat (COP28) qui s’est tenues à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre a été présidée par Sultan Al Jaber, ministre de l’Industrie des Emirats arabes unis… et PDG de l’ADNOC, la compagnie pétrolière nationale. L’occasion, une fois n’est pas coutume, de mettre la lumière sur la partie submergée de l’iceberg pétrolier : les compagnies nationales. Elles représentent la très grande majorité de la production de pétrole et de gaz dans le monde, et sont excessivement menacées par la transition énergétique. Mais elles sont les grandes oubliées du débat climatique.
On fête en 2023 les 50 ans du 1er choc pétrolier. Depuis cette date, nous sommes passés d’un cartel d’entreprises pétrolières à un cartel d’Etats, comme l’a fait observer le spécialiste des matières premières Philippe Chalmin. Au sein de ce cartel d’Etats, l’Opep agrège des compagnies pétrolières nationales dont la vocation première est l’exploitation des ressources de leurs pays d’origine. Il s’agit par exemple de Pemex au Mexique, de PDVSA au Venezuela, de Petrobras au Brésil, de la Sonatrach en Algérie, de l’Adnoc aux Emirats arabes unis, de Saudi Aramco en Arabie saoudite, d’Equinor en Norvège, de Gazprom ou Rosneft en Russie, de Petronas en Malaisie ou de la Petrochina en Chine. Ce sont les acteurs très dominants dans la production ou la possession des réserves de pétrole ou de gaz dans le monde, les supermajors pétrolières occidentales étant très minoritaires.
Répartition des réserves, de la production et des investissements dans le pétrole et dans le gaz par type de compagnies en 2018
Source : Agence internationale de l’énergie
Les compagnies nationales se divisent elles-mêmes en deux catégories. Il y a d’un côté celles qui exploitent essentiellement les ressources pétrogazières de leur pays, comme Saudi Aramco. Et de l’autre celles qui au contraire n’hésitent pas à sortir des frontières de leur pays d’origine comme Equinor, Petronas ou les compagnies pétrolières chinoises (Petrochina, Sinopec ou CNOOC).
Pas ou peu d’engagements climat
Pour entraîner les compagnies pétrolières nationales dans le sillage de leurs annonces climatiques, les supermajors ont lancé, en 2021, l’Oil & Gas Climate Initiative (OGCI), réunion des entreprises du secteur ayant pris l’engagement de s’aligner sur les objectifs de l’accord de Paris sur le climat. Parmi les douze sociétés membres de l’OGCI figurent ainsi Petrobras, Petrochina, Equinor et Saudi Aramco, quatre compagnies nationales majeures dont la production cumulée est de l’ordre de 16 % de la production mondiale de pétrole.
Le principal objectif des membres de l’OGCI est de réduire puis annuler en 2050 les émissions liées à la production de pétrole et de gaz provenant des opérations sous leur contrôle. Mais il ne s’agit surtout pas de remettre en cause le modèle d’affaire de ces groupes basés sur l’extraction, la production, le traitement et la vente d’énergies fossiles.
Dès lors, le principal indicateur suivi par les membres de l’OGCI est l’intensité carbone de leurs activités de production, exprimé en tonnes de CO2 équivalent par baril de pétrole (bpe). Elle s’élevait, en moyenne pour les douze compagnies pétrolières de cette alliance, à 23 kg CO2eq/bpe et l’objectif est de ramener ce chiffre à 17 kg CO2eq/bpe en 2025.
Cet indicateur d’intensité carbone permet de faire une distinction entre des pétroles qui seraient bas carbone et des pétroles très émetteurs, selon le même type de classification que celui établi dans le secteur de la production d’électricité : quelques grammes de CO2 par KWh d’électricité produites pour les énergies renouvelables et le nucléaire, contre mille fois plus pour une centrale à charbon, par exemple.
Mais s’agissant du pétrole ou du gaz, la limite de cette approche est évidemment que le secteur amont, de l’extraction à la pompe, ne représente que 20 % à 30 % des émissions totales, du puits jusqu’au consommateur final. Autrement dit, l’OGCI n’affiche aucun objectif sur 80 % du problème.
Plus de la moitié du budget carbone restant
Principaux détenteurs des réserves mondiales de pétrole et de gaz, les compagnies nationales portent de fait une part importante du « risque climat » de la planète. Via une initiative lancée en 2021, le Carbon Disclosure Project, en partenariat avec l’ADEME et la World Benchmark Alliance, a évalué les stratégies des 100 principales compagnies pétrolières dans le monde au regard d’une trajectoire mondiale permettant de limiter la hausse de la température à la fin du siècle à + 1,5 °C.
Le résultat est sans appel : le pétrole et le gaz extraits par ces 100 entreprises représentent près de 80 % du CO2 que la planète aurait encore la possibilité d’émettre d’ici à 2050 pour ne pas dépasser + 1,5 °C de réchauffement à la fin du siècle. Et les compagnies nationales représentent à elles seules plus de la moitié (54 %) de ce budget carbone résiduel. Pour le dire autrement, le respect des engagements de l’accord de Paris passe obligatoirement par l’arrêt, dans un horizon proche, de la production de pétrole et de gaz, notamment et surtout pour les compagnies pétrolières nationales.
Les alternatives technologiques telles que la capture-séquestration du CO2 ou la géo-ingénierie ne sont en effet pas des options. Elles n’offrent à cet horizon rapproché ni capacités de déploiement industriel massif, ni démonstration de sûreté et d’efficacité.
Bien plus que les majors occidentales, les compagnies nationales sont des contributeurs essentiels aux revenus de leur pays. Ainsi en Arabie saoudite, malgré les efforts déployés pour diversifier l’économie, le pétrole assure encore environ 40 % du PIB et les recettes pétrolières ont représenté en moyenne 75 % du budget de l’Etat depuis 2010.
Même chose en Algérie, où la production d’hydrocarbures et les recettes d’exportation continuent d’occuper une place centrale : le secteur pétrolier et gazier a représenté 20 % du produit intérieur brut (PIB), 93 % des exportations de marchandises et 38 % des recettes budgétaires du pays entre 2016 et 2021.
L’exception équatorienne
Coincées entre les objectifs internationaux de réduction d’émissions de GES et leurs raisons d’être – exploiter les ressources pétro-gazières domestiques et alimenter les budgets des Etats dont elles sont la propriété – les compagnies nationales font face à un énorme défi. La contrainte climatique supposerait qu’au cours des 25 prochaines années, elles réduisent drastiquement leurs activités, avec le défi pour les pays détenteurs de ces compagnies de diversifier leurs économies.
À ce jour, les compagnies pétrolières nationales n’ont pas ou peu pris la mesure de la transition énergétique. Pire, de nombreuses économies en développement voient encore le pétrole ou le gaz comme une opportunité pour assurer leur croissance.
La récente décision de l’Équateur est cependant porteuse d’espoir : à la suite d’un référendum organisé le 20 août dernier, le pays se passera de la manne financière que représente l’exploitation du Bloc 43, situé en grande partie dans le parc naturel de Yasuni et qui représente 12 % de la production nationale de pétrole. De telles décisions dans les grands Etats pétro-gaziers pourront-elles jamais être prises ?
transition énergétique des compagnies pétrolières
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